l'Express parle de l'association !!
Un article où l'on mentionne Juventas Christi est paru dans l'Express de la semaine du 16 Novembre 2006
Religion
Les "tradis" rentrent en grâce
Claire Chartier
Après la main tendue de Benoît XVI, les catholiques français nostalgiques de la messe en latin veulent croire que leur heure est arrivée. Au risque d'accentuer les divisions dans l'Eglise
Dos aux fidèles, le prêtre et ses deux co-célébrants égrènent d'énigmatiques mots en latin. Derrière eux, trois enfants de chœur, frêles coquelicots dans leur camail rouge gansé d'hermine. C'est l'heure de la grand-messe dominicale à l'église traditionaliste Saint-Eloi, à Bordeaux, siège de l'Institut pontifical du Bon-Pasteur (IBP), fondé en septembre par l'abbé Philippe Laguérie avec la bénédiction du pape Benoît XVI. Le temps s'écoule au rythme des génuflexions et des chants grégoriens. Il faut attendre l'homélie pour que le curé colombien, nouvelle recrue, présente enfin son visage à l'assistance. "Défendons les droits de Dieu", "gloire au Christ roi". Impassibles, les paroissiens écoutent leur berger du Nouveau Monde pester, avec un fort accent latino, contre ce IIIe millénaire qui veut la mort de l'Eglise catholique. Ils sont venus, ils sont tous là: les dames en chapeau, les garçons aux cheveux lisses, les grandes fratries bourgeoises. Quelques petites gens aussi. Ils ne rateraient pour rien au monde leur messe en latin, celle de saint Pie V fixée au concile de Trente (1563) et que Benoît XVI s'apprêterait à rétablir comme rite exceptionnel. "Il était temps! s'exclame Santiago, tailleur de pierre. Dans la messe actuelle, on ne voit plus le dogme."
Nostalgiques d'un monde chrétien édifié sous la triple autorité de Dieu, du curé et du paterfamilias, ces croisés de la sainte doctrine clamaient jusque-là leur credo dans l'indifférence générale. Persuadés de détenir la vérité, ces pratiquants minoritaires cultivaient entre eux la mémoire de Mgr Lefebvre, cardinal schismatique excommunié le 1er juillet 1988 pour avoir sacré quatre évêques contre l'avis du pape. On connaissait leur détestation du concile Vatican II (1962-1965), coupable, à leurs yeux, d'avoir ouvert l'Eglise au monde et au "peuple de Dieu", les fidèles. On savait leur répulsion pour le dialogue interreligieux et les rencontres œcuméniques entre chrétiens. On n'ignorait rien de ce qu'ils reprochent à la messe actuelle: les laïcs qui donnent la communion, les fillettes enfants de chœur, le tutoiement du Notre Père... "Le rite de Paul VI, c'est: “Face au peuple, fesses au peuple”", ironise Emmanuel, fâché de voir les prêtres circuler dans la rue en bras de chemise. "Pourraient au moins mettre un col romain!"
Ce qu'on n'imaginait pas, en revanche, c'est que Benoît XVI, dans un vrai souci d'unité, tendrait aussi rapidement la main à ces catholiques du refus. Après de brèves négociations, voici donc l'abbé fort en gueule Philippe Laguérie, flanqué de ses pairs, Paul Aulagnier et Guillaume de Tanouärn, réintégrés sans contrepartie dans la grande famille apostolique et romaine. Certes, il reste le noyau dur des lefebvristes, les intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), toujours en pourparlers avec Rome. Mais les prêtres du Bon-Pasteur peuvent d'ores et déjà célébrer la messe en latin sans demander l'autorisation de l'évêque diocésain, comme c'était le cas jusqu'à présent. Surtout, ils sont autorisés à se livrer à une "critique sérieuse et constructive" de Vatican II.
La création de l'institution a déclenché l'ire des laïcs bordelais, qui se sont fendus d'une lettre de protestation au président de la Conférence épiscopale - et archevêque de Bordeaux - Mgr Jean-Pierre Ricard. Mais une autre surprise les attendait. Benoît XVI serait sur le point de publier un motu proprio - décret papal - autorisant tout prêtre catholique à célébrer la messe tridentine. D'ordinaire très discrets, les évêques français ont, cette fois, vivement réagi, prenant la plume pour défendre l'esprit du concile. Au point que Mgr Ricard a dû les rassurer lors de l'assemblée plénière des évêques à Lourdes, début novembre, en affirmant que le pape n'entendait pas "revenir sur le cap que le concile Vatican II a donné à l'Eglise".
Les "tradis" veulent pourtant croire que leur heure est arrivée. Ce pape bavarois ne partage-t-il pas avec eux l'amour de l'ancienne messe et la défense de l'identité chrétienne? "Dans chaque prêtre il y a un combattant", prévient Philippe Laguérie. Un roman à lui seul, ce Laguérie. Preneur d'églises - à Paris, il a dirigé la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, occupée illégalement depuis 1977, et tenté d'investir celle de Saint-Germain-l'Auxerrois - la star des curés "tradis" a atterri à Saint-Eloi en 2004, après son expulsion de la FSSPX. L'archevêché, propriétaire du lieu de culte, ne voulait pas céder l'édifice, à demi abandonné. Bien que la justice lui ait donné tort, le curé en soutane noire est resté. Petit gabarit mais voix de tribun, le père Laguérie s'est illustré en vantant "l'âme délicate, sensible et nuancée" de Paul Touvier, lors des funérailles du chef de la Milice lyonnaise sous l'Occupation, qu'il célébra en 1996 à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Dans son livre Avec ma bénédiction (Certitudes), il fustige "les individus simiesques qu'a produits à la chaîne la culbute de 68" et s'interroge: "Qu'est-ce qu'un tolérant en matière intellectuelle, si ce n'est un vaurien, un minable, un déchet d'une société entièrement vouée à la ruine?" Habitué aux critiques, Laguérie pavoise dans son église de la Reconquista, retapée grâce aux fonds des fidèles - 600 000 euros. "Tous les joints, c'est moi qui les ai mis, avec ces paluches!" répète-t-il à la cantonade.
On la prendrait pour une militante altermondialiste, Véro, avec son foulard noué en bandeau dans les cheveux et ses pendentifs aux oreilles. Cette brune sympa, venue ce samedi-là réciter le rosaire sur la place Saint-Michel, à Paris, avec ses copains du groupement Juventas Christi, a pourtant fait douze ans de pension chez les sœurs de la FSSPX. "Les hommes, dit-elle, n'ont pas vraiment de droits; ils ont surtout des devoirs. A force de centrer la religion sur eux, comme le fait l'Eglise actuelle, on dérape vers les droits de l'homme." Comme elle, les jeunes "tradis" aiment se retrouver à dîner ou à chatter sur le forum catholique pour discuter des points de doctrine, quand ils ne sont pas en pèlerinage. Les plus engagés s'enrôlent dans le Mouvement de la jeunesse catholique de France ou les Scouts et guides catholiques. "La génération montante a compris qu'elle était une minorité et n'hésite plus à militer, analyse un prêtre de la mouvance. On sent aussi monter un esprit communautariste: les mamans se passent l'adresse du pédiatre ou du prof de maths qui a les compétences requises et les convictions qu'il faut." Les aînés se regroupent dans des associations d'avocats, de médecins et d'infirmières, d'artisans... A Saint-Nicolas-du-Chardonnet, la messe annuelle des juristes est un classique: les hommes de loi y assistent en robe et terminent la soirée au restaurant.
Toute une génération de prêtres "restaurationnistes" apparaît
Yves Amiot connaît bien cette paroisse parisienne, dont il fit le siège en 1977. Dans la bibliothèque de cet affable ingénieur retraité trônent les œuvres de Charles Maurras, le fondateur de l'Action française, incarnation du catholicisme de la Contre-Réforme et de l'antimodernisme d'où sont issus les traditionalistes actuels. Sur la table basse, des revues d'extrême droite, très prisées des lefebvristes, souvent proches du Front national. "Aujourd'hui, les vocations au sacerdoce s'expriment chez nous, se félicite Yves Amiot, et plus dans l'Eglise officielle." A l'heure où les séminaires "classiques" se vident, l'argument ne manque pas de poids. D'autant que les "tradis" ne sont pas si éloignés des mouvements conservateurs très en cour au Vatican, tels que les Légionnaires du Christ. "A Bordeaux, déplore le père Francis Aylies, toute une génération de prêtres “restaurationnistes” est en train de monter."
Ce soir, feu sur l'islam au centre Saint-Paul, à Paris. L'abbé de Tanouärn, géant ventru à la plume habile, accueille Jean Alcader, catholique d'origine égyptienne, auteur d'un brûlot sur la religion du Prophète. "Le musulman croit qu'il va aller au ciel parce qu'il ne mange pas de cochon." Gloussements du public. "L'islam est un combat antichrétien." Les agressions dans la rue, les tournantes? La faute aux musulmans. "L'islam, c'est le sang", lâche un homme dans l'assistance. Dans sa paroisse populaire de Bordeaux, le père Aylies, lui, n'a qu'une crainte: que les catholiques ordinaires soient désormais "confondus" avec les traditionalistes. Et que l'Eglise de Vatican II, "son" Eglise, ressorte encore plus fragilisée.
Religion
Les "tradis" rentrent en grâce
Claire Chartier
Après la main tendue de Benoît XVI, les catholiques français nostalgiques de la messe en latin veulent croire que leur heure est arrivée. Au risque d'accentuer les divisions dans l'Eglise
Dos aux fidèles, le prêtre et ses deux co-célébrants égrènent d'énigmatiques mots en latin. Derrière eux, trois enfants de chœur, frêles coquelicots dans leur camail rouge gansé d'hermine. C'est l'heure de la grand-messe dominicale à l'église traditionaliste Saint-Eloi, à Bordeaux, siège de l'Institut pontifical du Bon-Pasteur (IBP), fondé en septembre par l'abbé Philippe Laguérie avec la bénédiction du pape Benoît XVI. Le temps s'écoule au rythme des génuflexions et des chants grégoriens. Il faut attendre l'homélie pour que le curé colombien, nouvelle recrue, présente enfin son visage à l'assistance. "Défendons les droits de Dieu", "gloire au Christ roi". Impassibles, les paroissiens écoutent leur berger du Nouveau Monde pester, avec un fort accent latino, contre ce IIIe millénaire qui veut la mort de l'Eglise catholique. Ils sont venus, ils sont tous là: les dames en chapeau, les garçons aux cheveux lisses, les grandes fratries bourgeoises. Quelques petites gens aussi. Ils ne rateraient pour rien au monde leur messe en latin, celle de saint Pie V fixée au concile de Trente (1563) et que Benoît XVI s'apprêterait à rétablir comme rite exceptionnel. "Il était temps! s'exclame Santiago, tailleur de pierre. Dans la messe actuelle, on ne voit plus le dogme."
Nostalgiques d'un monde chrétien édifié sous la triple autorité de Dieu, du curé et du paterfamilias, ces croisés de la sainte doctrine clamaient jusque-là leur credo dans l'indifférence générale. Persuadés de détenir la vérité, ces pratiquants minoritaires cultivaient entre eux la mémoire de Mgr Lefebvre, cardinal schismatique excommunié le 1er juillet 1988 pour avoir sacré quatre évêques contre l'avis du pape. On connaissait leur détestation du concile Vatican II (1962-1965), coupable, à leurs yeux, d'avoir ouvert l'Eglise au monde et au "peuple de Dieu", les fidèles. On savait leur répulsion pour le dialogue interreligieux et les rencontres œcuméniques entre chrétiens. On n'ignorait rien de ce qu'ils reprochent à la messe actuelle: les laïcs qui donnent la communion, les fillettes enfants de chœur, le tutoiement du Notre Père... "Le rite de Paul VI, c'est: “Face au peuple, fesses au peuple”", ironise Emmanuel, fâché de voir les prêtres circuler dans la rue en bras de chemise. "Pourraient au moins mettre un col romain!"
Ce qu'on n'imaginait pas, en revanche, c'est que Benoît XVI, dans un vrai souci d'unité, tendrait aussi rapidement la main à ces catholiques du refus. Après de brèves négociations, voici donc l'abbé fort en gueule Philippe Laguérie, flanqué de ses pairs, Paul Aulagnier et Guillaume de Tanouärn, réintégrés sans contrepartie dans la grande famille apostolique et romaine. Certes, il reste le noyau dur des lefebvristes, les intégristes de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX), toujours en pourparlers avec Rome. Mais les prêtres du Bon-Pasteur peuvent d'ores et déjà célébrer la messe en latin sans demander l'autorisation de l'évêque diocésain, comme c'était le cas jusqu'à présent. Surtout, ils sont autorisés à se livrer à une "critique sérieuse et constructive" de Vatican II.
La création de l'institution a déclenché l'ire des laïcs bordelais, qui se sont fendus d'une lettre de protestation au président de la Conférence épiscopale - et archevêque de Bordeaux - Mgr Jean-Pierre Ricard. Mais une autre surprise les attendait. Benoît XVI serait sur le point de publier un motu proprio - décret papal - autorisant tout prêtre catholique à célébrer la messe tridentine. D'ordinaire très discrets, les évêques français ont, cette fois, vivement réagi, prenant la plume pour défendre l'esprit du concile. Au point que Mgr Ricard a dû les rassurer lors de l'assemblée plénière des évêques à Lourdes, début novembre, en affirmant que le pape n'entendait pas "revenir sur le cap que le concile Vatican II a donné à l'Eglise".
Les "tradis" veulent pourtant croire que leur heure est arrivée. Ce pape bavarois ne partage-t-il pas avec eux l'amour de l'ancienne messe et la défense de l'identité chrétienne? "Dans chaque prêtre il y a un combattant", prévient Philippe Laguérie. Un roman à lui seul, ce Laguérie. Preneur d'églises - à Paris, il a dirigé la paroisse de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, occupée illégalement depuis 1977, et tenté d'investir celle de Saint-Germain-l'Auxerrois - la star des curés "tradis" a atterri à Saint-Eloi en 2004, après son expulsion de la FSSPX. L'archevêché, propriétaire du lieu de culte, ne voulait pas céder l'édifice, à demi abandonné. Bien que la justice lui ait donné tort, le curé en soutane noire est resté. Petit gabarit mais voix de tribun, le père Laguérie s'est illustré en vantant "l'âme délicate, sensible et nuancée" de Paul Touvier, lors des funérailles du chef de la Milice lyonnaise sous l'Occupation, qu'il célébra en 1996 à Saint-Nicolas-du-Chardonnet. Dans son livre Avec ma bénédiction (Certitudes), il fustige "les individus simiesques qu'a produits à la chaîne la culbute de 68" et s'interroge: "Qu'est-ce qu'un tolérant en matière intellectuelle, si ce n'est un vaurien, un minable, un déchet d'une société entièrement vouée à la ruine?" Habitué aux critiques, Laguérie pavoise dans son église de la Reconquista, retapée grâce aux fonds des fidèles - 600 000 euros. "Tous les joints, c'est moi qui les ai mis, avec ces paluches!" répète-t-il à la cantonade.
On la prendrait pour une militante altermondialiste, Véro, avec son foulard noué en bandeau dans les cheveux et ses pendentifs aux oreilles. Cette brune sympa, venue ce samedi-là réciter le rosaire sur la place Saint-Michel, à Paris, avec ses copains du groupement Juventas Christi, a pourtant fait douze ans de pension chez les sœurs de la FSSPX. "Les hommes, dit-elle, n'ont pas vraiment de droits; ils ont surtout des devoirs. A force de centrer la religion sur eux, comme le fait l'Eglise actuelle, on dérape vers les droits de l'homme." Comme elle, les jeunes "tradis" aiment se retrouver à dîner ou à chatter sur le forum catholique pour discuter des points de doctrine, quand ils ne sont pas en pèlerinage. Les plus engagés s'enrôlent dans le Mouvement de la jeunesse catholique de France ou les Scouts et guides catholiques. "La génération montante a compris qu'elle était une minorité et n'hésite plus à militer, analyse un prêtre de la mouvance. On sent aussi monter un esprit communautariste: les mamans se passent l'adresse du pédiatre ou du prof de maths qui a les compétences requises et les convictions qu'il faut." Les aînés se regroupent dans des associations d'avocats, de médecins et d'infirmières, d'artisans... A Saint-Nicolas-du-Chardonnet, la messe annuelle des juristes est un classique: les hommes de loi y assistent en robe et terminent la soirée au restaurant.
Toute une génération de prêtres "restaurationnistes" apparaît
Yves Amiot connaît bien cette paroisse parisienne, dont il fit le siège en 1977. Dans la bibliothèque de cet affable ingénieur retraité trônent les œuvres de Charles Maurras, le fondateur de l'Action française, incarnation du catholicisme de la Contre-Réforme et de l'antimodernisme d'où sont issus les traditionalistes actuels. Sur la table basse, des revues d'extrême droite, très prisées des lefebvristes, souvent proches du Front national. "Aujourd'hui, les vocations au sacerdoce s'expriment chez nous, se félicite Yves Amiot, et plus dans l'Eglise officielle." A l'heure où les séminaires "classiques" se vident, l'argument ne manque pas de poids. D'autant que les "tradis" ne sont pas si éloignés des mouvements conservateurs très en cour au Vatican, tels que les Légionnaires du Christ. "A Bordeaux, déplore le père Francis Aylies, toute une génération de prêtres “restaurationnistes” est en train de monter."
Ce soir, feu sur l'islam au centre Saint-Paul, à Paris. L'abbé de Tanouärn, géant ventru à la plume habile, accueille Jean Alcader, catholique d'origine égyptienne, auteur d'un brûlot sur la religion du Prophète. "Le musulman croit qu'il va aller au ciel parce qu'il ne mange pas de cochon." Gloussements du public. "L'islam est un combat antichrétien." Les agressions dans la rue, les tournantes? La faute aux musulmans. "L'islam, c'est le sang", lâche un homme dans l'assistance. Dans sa paroisse populaire de Bordeaux, le père Aylies, lui, n'a qu'une crainte: que les catholiques ordinaires soient désormais "confondus" avec les traditionalistes. Et que l'Eglise de Vatican II, "son" Eglise, ressorte encore plus fragilisée.